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« Nous interdisons, nous ne permettons pas, nous limitons, nous contraignons. Ceci constitue un trait typique de notre société. », constate Jules Bélanger, fondateur de Bélanger Design. Il s’interroge à voix haute : « Devons-nous vraiment vivre dans un univers où la forme de communication visuelle la plus fréquente de la part des autorités est l’interdiction? »

Ce n’est pas le fait que Bélanger Design vient d’obtenir le mandat de l’entreprise Hexo Corp pour la signalisation de son complexe de serres d’un million de pieds carrés pour la culture du cannabis à Gatineau qui provoque la publication de cet article. C’est la quête, parfois désespérée, d’un nombre croissant de municipalités, de gestionnaires d’immeubles et d’usines, de marchands et de copropriétaires de condos qui désirent afficher des règlements limitant l’usage du cannabis sans enfreindre la nouvelle loi en vigueur, et encore moins la Charte des droits et libertés de la personne.

Résumons l’enjeu. Notre société fait face à un dilemme où les propriétaires de logements, les employeurs et de plus en plus de municipalités entendent interdire de fumer du cannabis tant à l’intérieur qu’à l’extérieur : une mise en scène parfaite pour invoquer la perte d’une liberté individuelle.

L’approche d’interdire semble clairement avoir préséance au nouveau gouvernement du Québec sur celle de permettre, d’où une joyeuse agglomération de panneaux en perspective; la situation risque de dégénérer au même titre qu’on dénonçait, dans un récent article, le fait que les automobilistes subissent des interdictions de stationnements dures à décoder. Lire Si la signalisation insistait sur le permis plutôt que l’interdit.

En effet, par le projet de loi no 157 que propose l’actuel gouvernement du Québec, on veut notamment rendre illégale toute possession de cannabis dans tout lieu fréquenté « majoritairement par des mineurs », une notion aux contours variables qui pourrait amener nos clients, municipalités et gestionnaires d’immeubles publics en particulier, à devoir se défendre devant les tribunaux.

Parc des princes
« La pelouse est sacrée, l’herbe est interdite », peut-on lire aux entrées du Parc-des-Princes à Paris.

En plus d’interdire le cannabis là où fumer la cigarette est déjà interdit, le projet de loi veut aussi empêcher de fumer ou de vapoter du pot sur les terrains des hôpitaux, des établissements scolaires et des aires d’attente de transport en commun.

La Ville de Drummondville élargit l’interdiction de consommation aux parcs, incluant le parc canin, aux tunnels piétonniers et à tous les lieux extérieurs où le public est invité, comprenant, entre autres, les fêtes de quartier, les festivals et les autres événements autorisés par le conseil municipal.

Varennes
Le message affiché par la municipalité de Varennes est on ne peut plus clair : tolérance zéro à l’égard de la mari.

Le cannabis en milieu de travail

En ce qui concerne les milieux de travail, la Loi précise qu’un employeur peut, en vertu de son droit de gérance, encadrer l’usage de cannabis, voire l’interdire complètement.

Abby Deshman, directrice du programme de justice criminelle à l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC), observe une certaine paranoïa chez les employeurs. Par exemple, à la GRC ou au Service de police de Toronto, voici les nouvelles règles suivantes : ne pas avoir consommé de mari 28 jours avant un quart de travail.

Une déficience au travail peut être causée par tellement d’autres facteurs, tels que les pilules contre les allergies, les mauvaises nuits d’un nouveau-né, les relaxants musculaires, un divorce, un nouvel abonnement à Netflix!

Aby Deshman
Aby Deshman de l’ACLC : « Une approche prudente, c’est une chose. Mais certaines des décisions sont davantage du côté de la folie associée au joint que de l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes. »
ACLC : effet cannabis
Santé Canada indique que les effets aigus du cannabis commencent généralement dans les 30 minutes (inhalation) et dans les 3 à 4 heures (comestibles). Les effets aigus durent entre deux et quatre heures, la limite étant de 24 heures. Devant de tels faits, Bélanger Design ne recommande pas des phrases aussi fortes que celle proposée sur cette signalisation interdisant d’être sous l’effet du cannabis, car elle sera bien difficile à appliquer devant les tribunaux.

La question au fond que pose l’ACLC avant d’adopter une règle touchant le cannabis et d’en choisir les mots et les images d’affichage est la suivante : êtes-vous en train d’entrer dans la vie privée de vos employés? Bélanger Design incite tous ses clients à se la poser.

#stillacrime
L’Association canadienne des libertés civiles, pour mettre en garde les employeurs, a lancé une série de dix affiches intitulée « Still a crime » https://ccla.org/10-things-will-still-crime-cannabis-legalized/. La ligne directrice des affiches soutient le danger d’une culture d’entreprise basée sur des peurs irrationnelles, le retour de la pseudo vertu que serait l’abstinence, une forme de prohibition, voire de punition.

Le projet de loi limite à seulement trois catégories les produits de cannabis qui pourront être vendus au Québec : le cannabis séché, l’huile de cannabis et le cannabis frais. Lorsque le fédéral le permettra, la résine de cannabis (haschich) pourra aussi être vendue par la SQDC.

Pictogrammes officiels
Le ministère de la Santé et des Services sociaux offre ce trio d’images gratuitement. Il nous semble périssable et limitatif dans la mesure où il cible une seule drogue (le cannabis) et une seule façon de le consommer (en joint).

Or, le cas du cannabis apporte une dimension que la cigarette ne nous a pas fait vivre : la consommation de marijuana dans des boissons et des aliments. Si les effets psychoactifs prêtés au joint sont pourtant semblables, quel défi d’un point de vue signalétique!

Revenons sur l’enjeu du moment qui consiste à distinguer les interdictions de fumer la cigarette ou la vapoteuse et le cannabis. Force est de croire qu’à l’interdiction de fumer de la mari à tel endroit, à telle heure s’ajouteront d’autres lois autorisant plus ou moins la consommation d’autres drogues. En tout cas, le mouvement est dans l’air, si l’on peut dire.

Tolérance zéro
Après le cannabis, qui sait où se terminera le mouvement de légalisation des drogues ? (Lire à ce sujet le British Medical Journal dont l’éditrice en chef prend résolument position pour la décriminalisation, voire la légalisation de toutes les drogues.) Les signalisations affublées d’une feuille de cannabis seront alors caduques. Vaut donc mieux prévenir et réfléchir à des illustrations aux épaules plus larges que la seule croisade contre le pot. Crédit : Alpha Signa

Ce qui nous amène à parler des Pays-Bas, là où tout serait permis. Apparemment.

Il faut en fait savoir que la Opium Law au Pays-Bas interdit l’usage, la possession et le commerce de toute drogue non reconnue par les autorités médicales, dont la marijuana. Adoptée en 1928, cette législation, comme son nom le suggère, couvre un territoire beaucoup plus large que le cannabis. Dans les faits, sont visés la morphine, la cocaïne, l’héroïne, les barbituriques, les amphétamines, auxquelles se sont ajoutées au fil des ans d’autres drogues comme les benzodiazépines, le LSD et… le haschisch et le cannabis ! Sauf que dans les faits, la police hollandaise adopte une attitude de tolérance totale depuis le 20e siècle à l’égard des drogues qualifiées de douces.

Amsterdam
Contrairement à l’idée reçue où dans les villes hollandaises, on peut fumer où on veut, il faut savoir que plusieurs quartiers, par exemple ici à Amsterdam, prohibent de boire de l’alcool et restreignent la consommation de pot.
Coffe shop
Depuis 1980, aux Pays-Bas, les “coffee shops” peuvent vendre du cannabis et du haschisch, ce qui a conduit le pays à voter une modification à la Opium Law en 1996 afin, entre autres, d’interdire toute publicité dans ces établissements.

L’Alaska, la Californie, le Colorado, le Nevada, l’Oregon, le Maine, le Massachusetts, le Vermont, le Michigan, l’État de Washington et Washington DC. ont légalisé la marijuana pour adultes.

En décembre 2013, l’Uruguay est devenu le premier pays au monde à réglementer légalement la marijuana, cinq ans avant le Canada. La Cour Suprême du Mexique vient de statuer sur le caractère inconstitutionnel de la prohibition de la marijuana, ce qui pave la voie à une légalisation prochaine.

Uruguay
En Uruguay, l’affichage indique clairement que le cannabis, c’est dans les pharmacies qu’il est en vente libre.
Borders
Des signalisations semblables bordent toutes les frontières terrestres du Canada depuis le 17 octobre 2018.

En matière de promotion et de publicité, Bélanger Design incite ses clients à bien s’informer avant d’associer leur nom à un produit du cannabis : le projet de loi du gouvernement Legault prévient que toute association de logo ou slogan vue près d’installations sportives, culturelles ou de santé ainsi qu’en lien avec un événement sportif, culturel ou social est passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 500 000 $ à la première offense et jusqu’à 1 million de dollards s’il y a récidive. La compagnie Canopy Growth et son produit Tweed est sous la loupe depuis sa commandite à la fondation Merry Go Round pour enfants.

Et ici, à Montréal?

Ville de Montréal
L’Office municipal d’habitation de Montréal a choisi de s’attaquer au cannabis avec les mêmes armes que la cigarette : la fumée. Or, un citoyen qui vapote pourrait gagner son point. Et que dire d’un autre qui mange un muffin au pot pendant son lunch; il ne dégage aucune fumée, mais il pourrait tout autant être altéré par la substance, non ?

La Ville de Montréal a demandé d’être exemptée de l’interdiction de consommer du pot en public, ne voulant pas se soumettre à cette disposition du projet de loi resserrant l'encadrement du cannabis.

La métropole veut qu’un amendement soit ajouté au projet de loi du gouvernement Legault pour lui permettre « de se soustraire à l’interdiction [...] de la consommation de cannabis fumé sur les voies publiques et dans les parcs ». La Ville de Gatineau a aussi demandé un droit de retrait en ce sens.

Ontario
Depuis le 1er janvier 2018, la province de l’Ontario oblige les centres d’hébergement de santé à afficher ce message tellement ambigu qu’il demande deux ou trois lectures pour être compris, ce qui n’est pas la qualité qu’on recherche en signalisation.

L’Union des municipalités du Québec (UMQ) demande au gouvernement de donner aux municipalités « l’autonomie nécessaire » pour décider comment encadrer le cannabis dans les lieux publics. Sans uniformisation des règles ni de leur affichage, on imagine alors le chaos : d’un quartier à l’autre, d’un parc à l’autre, parce que des pique-niqueurs se retrouveraient dans l’illégalité parce qu’ils auraient bougé, parfois sans le savoir, sur le territoire d’une autre municipalité.

Pour le moment, il est possible de consommer du cannabis à Montréal sauf où cela est interdit par le tabac, à l’exception de certains arrondissements qui ont décidé d’appliquer des réglementations plus sévères.

La métropole compte 60 % de personnes locataires ou qui résident en copropriété. De ce fait, difficile de dire à ces citoyens d’aller fumer chez eux. Sans parler du statut d’illégalité qui collerait à la peau des personnes itinérantes fumeuses.

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a émis l’avis que des interdictions trop restrictives de fumer du cannabis dans les lieux publics pourraient devenir plus lourdes à gérer que des règles de tolérance. La direction du SPVM a d’ailleurs a assuré qu’il n’y avait pas de débordements à Montréal depuis la légalisation du cannabis en octobre.

On vous laisse avec cette image de bons brownies, bien mérités après un hiver si éprouvant, non ?

Ontario