La forme de ce texte diffère de celle que nous vous proposons habituellement dans notre section « Actualités ». Mais n’est-ce pas une année « un peu » différente des précédentes ? Julien Cléon, notre directeur artistique, y présente sa vision de la situation actuelle sous le prisme de notre discipline favorite, la signalétique.
Nous ne ressasserons pas ce que tout le monde sait : l'année 2020 fut labyrinthique, et chacun l'a naviguée de façon unique.
Mais lorsque le chemin prend un tournant inattendu, que notre boussole est agitée, il advient de saisir une belle opportunité : brûler notre carte, et marcher.
Nous vous offrons ici un point de vue à saveur signalétique sur un monde qui change—pour le meilleur !
Destination ?
Imaginons un monde où plus personne ne se perdrait jamais. Un monde où tout serait su, où tout serait connu.
Les trajets, adéquatement balisés, permettraient d’aller de A vers B de façon optimale, rapide, efficace. En mode productif. Pas de perte de temps, pas de détours imprévus, pas de retards, pas de… surprises.
Peut-être que, dans ce monde, la signalétique prendrait une toute autre forme.
Elle serait intégrée à nos processus mentaux, nous fournissant constamment l’information pertinente pour la pensée émise. Il suffirait de savoir où l’on veut aller (ceci est une autre question !), et instantanément le chemin nous serait connu—pas même indiqué, simplement su. Aurions-nous encore le choix de ne pas l’emprunter ? Peut-être; mais nous n’aurions en tous cas pas celui de le découvrir.
Ce monde incarne l’avènement d’un mode de vie finalement confortable, sécuritaire, la science et la technologie se promettant messies de ce futur salvateur.
Ce monde, c’est celui de la certitude.
Et c’est elle qui, en 2020, fut assiégée de toutes parts.
Trébuche
Cette année bien spéciale nous a amené à questionner la solidité d’un certain nombre de fondations sur lesquelles nous construisons nos châteaux de convictions.
La perte d’un rythme de vie qui nous était propre et auquel notre identité était fortement attachée a catalysé de nombreuses réactions.
Ont été mises en avant, sans possibilité d’y échapper, des questions de carrière, de famille, de communauté.
Ont été chamboulées nos croyances, nos attentes, nos libertés.
Ont été compromis nos projets, nos actions et, parfois, nos amitiés.
Accueil
Ce qui est particulier lorsque les certitudes s’écroulent, c’est leur mutation. Elles s’agrippent les unes aux autres, se contorsionnent pour s’adapter à une réalité changeante, parvenant parfois à obtenir l’illusion d’un support, d’un répit, mais finissant inévitablement par s’entraîner dans leur chute. Et au final, on ne se retrouve non pas avec un amoncellement de certitudes, mais avec un tas d’incertitudes.
L’incertitude est l’inconnue, elle fait peur.
Mais peut-être est-il temps d’inverser la tendance : accueillir l’incertitude avec cordialité, la voir comme un terrain de jeu, un champ de potentialité qui n’attend que nos idées, formées d’actions, pour se transformer, et matérialiser notre vision.
L’incertitude peut être vue comme une perte de repères, et dans un sens, c’est certainement vrai. Dès lors, sans repères, comment savoir où l’on va ?
Mais le confort du connu peut aussi être trompeur―du moins réducteur. Dès qu’on choisit d’avancer avec moins de repères, la carte mentale cède à celle du cœur, et de nouveaux horizons deviennent possibles.
Se perdre
Nous pourrions penser que nous courrons à notre perte. En réalité, ce qui importe, ce n’est pas où l’on court, mais dans quel état d’esprit. Ne vaut-il pas mieux se perdre dans la joie que de trouver son chemin dans la peur ?
Et tant qu’à se poser des questions : est-il vraiment si regrettable de se perdre ?
Lorsque le sentier n’est pas clair, qu’il est semé d’embûches, qu’il cultive la peur et cloisonne l’espoir, qu’il semble mener vers le néant, ne devrait-on pas plutôt se réjouir de s’égarer loin de lui, vers la terre plus clémente, pleine de promesses, que l’on discerne devant… ou derrière, ou sur le côté ?
Alors que les murs de notre société sont mis à nu, n’est-ce pas l’occasion d’en réimaginer les lieux, d’en redessiner les contours ?
Oserions-nous nous aventurer hors du sentier battu par les âges, aux pavés bosselés par l’histoire, plutôt que d’en réparer maladroitement, et à reculons, les infinis défauts ?
Suivrions-nous les indications vers un beau « ? » plutôt que celles vers un triste « ! » ?
Se retrouver
L’une des réalisations fondamentales de cette année fut certainement celle de l’inextricable enchevêtrement de nos réalités individuelles, entre elles et avec celle de la planète. La notion que quoi qu’il arrive, nos chemins de vie sont liés, se croisent et s’influencent. Les décisions que l’on prend à l’échelle individuelle impactent le collectif, et inversement—peu importe notre perception de leur ampleur.
Parce qu’en bout de ligne, même si nous suivons chacun notre propre ruisseau, il nous appartient de réaliser qu’ils serpentent dans la même direction, et constituent le même ensemble.
Or, pour naviguer, l’important n’est pas la voie, mais la foi. La signalétique matérialise d’ailleurs, à sa façon, cette métaphore du voyage. Si les signes sont là pour nous guider vers la destination rêvée, et si l’on y croît, tous les reliefs deviennent alors non seulement magnifiques, mais nécessaires.
Le plaisir est alors dans chaque pas (et c’est ainsi que, chez Bélanger, nous percevons l’expérience des usagers de nos créations signalétiques), car il nous donne une perspective unique sur le trajet, et à la fois, participe à nous mener plus proches de notre but commun.
Signal éthique
Le temps d’une saison grise qui n’en finit plus d’averses, et dont les éclaircies ne sont que des gouttes qui mouillent moins, la signalétique s’est trouvée couronnée régisseuse, fonction qui ne lui sied qu’à moitié.
D’orienter, elle dirige : « Passez par là ».
Du mouvement, elle fige : « Tenez-vous ici ».
D’informer, elle érige : « Faites ceci, pas cela ».
Ces édits auraient bien davantage convenu à sa sœur cadette, la signalisation; il s’agit en réalité d’une sorte de collaboration sororale entre les deux.
Certes, l’intention est bonne—et en réalité, ce qui compte vraiment. C’est un rôle qui devait, dans ces circonstances, être joué. Et force est de constater qu’il l’a été à merveille : les acteurs du domaine ont redoublé d’efforts, d’ingéniosité et d’abnégation pour offrir au monde leur contribution.
Mais en son cœur, la signalétique prend les gens par la main et les guide d’un doigt pointé vers le lointain.
La signalétique, c’est hocher la tête en souriant pour confirmer que c’est bien par là, que c’est bien ici, qu’on peut avancer d’un pas leste, joyeux.
C’est le parent qui agite la main à son enfant qui s’éloigne, et qui le fait sauter dans les airs à son arrivée.
La signalétique, c’est un langage profondément humain.
C’est cette force invisible qu’on aime parce qu’elle nous parle de cette voix douce, rassurante, parce qu’elle nous murmure à l’oreille ce mot : « Confiance ! »
Ayons confiance.