Autres temps, autres requêtes sociales. Les LGBTQ2 veulent leur(s) place(s). De fait, un nombre grandissant de nos semblables ne se définissent plus comme hommes ou femmes. En tout cas, pas en l’homme représenté avec le pantalon et la femme en robe. Dès lors, comment signaliserons-nous et identifierons-nous les toilettes dans les espaces publics et les entreprises?
D’un point de vue purement architectural, une solution s’impose, toute simple : ne créer que des espaces de toilettes individuels et fermés de haut en bas. Les lavabos, sèche-mains, tables à langer et autres fonctions générales sont aménagées dans un espace commun.
Selon l’architecte Matt Nardella de Moss Design à Chicago, les toilettes unisexes sont même plus économiques à construire que les toilettes ségrégationnistes par le genre du fait du partage d’équipements en commun et possiblement du moins grand nombre d’unités fermées à construire que s’il faut des toilettes distinctes pour hommes, femmes et autres.
Les toilettes pour handicapés ont souvent été intégrées dans les toilettes pour femmes. Certains mouvements activistes établissent un rapport avec l’infantilisation et la désexualisation dont le corps de la personne handicapée fait l’objet dans les sociétés occidentales. Gardons la question posée…
La solution de réaménagement vers l’universalité comporte également l’avantage politique non négligeable d’évacuer tout jugement à l’endroit des personnes en transition de changement de sexe, à la fois victimes de réprobations (« Que fais-tu dans une toilette pour femmes ?) et malgré elles, sources d’inconfort social.
Pourquoi accepte-t-on de partager depuis toujours les mêmes toilettes dans les avions et dans les autocars, mais pas encore dans les aéroports ni dans les gares?
Il ressort de l’enquête de la sociologue canadienne Sheila L. Cavanagh qui, en 2010, a interviewé 100 personnes LGBTQ2 dans les grandes villes américaines et canadiennes, que des toilettes sexuées peuvent légitimer une "police des genres’’ pouvant devenir normative, violente et restrictive : « Les toilettes ne devraient pas donner le droit à quiconque de définir ce qui fait un homme ou une femme à la place des autres. »
Mme Cavanagh appelle de ses vœux des designs et des architectures de toilettes plus ouverts qui permettent aux usagers de resignifier ces endroits à leur convenance : « La fonction de la signalétique des toilettes n'est pas d'être claire en soi, mais d’ouvrir un espace qui puisse permettre de cultiver des manières nouvelles et inédites d’être genré et sexuel dans le paysage social. »
La professeure de l’Université York a poussé plus loin l’aspect « toilet-positive » en publiant un livre devenu la pièce de théâtre Queering Bathroom Monologs, jouée à Toronto puis à New York, variation, en quelque sorte, des fameux « Monologues du vagin » par Eve Ensler.
La réglementation abolissant les genres est en pleine déferlante
Si des toilettes non genrées sont maintenant aménagées au plutôt conservateur Service canadien du renseignement de sécurité, c’est dire la préoccupation autour du phénomène. Leur argument : offrir un milieu de travail diversifié, inclusif et accueillant.
Les toilettes sexuées deviennent même hors-la-loi dans l’ouest américain.
Toutes les toilettes publiques individuelles doivent désormais être « gender neutral » dans la municipalité de West-Hollywood, et dans au moins 250 autres villes des États-Unis.
Philadelphie fait aussi partie des grandes villes à se doter d’un décret municipal qui oblige les bâtiments publics à se doter d’une toilette neutre en plus des toilettes homme/femme (et par ailleurs, à neutraliser tous les sites web et les candidatures pour les jobs de la ville).
San Francisco propose des mesures incitatives pour que les commerces optent aussi pour des toilettes neutres.
« Les anciennes toilettes “hommes” et “femmes” sont démodées. Elles placent les personnes transgenres dans la position délicate de devoir ouvertement revendiquer un sexe (“to out themselves”) en optant pour une porte précise. », affirmait récemment, au New York Times, Abbe Land, conseillère municipale qui a piloté la résolution menant à l’instauration de toilettes à genre unique partout dans la petite ville.
Pour l’instant, la mesure ne concerne que les cabines individuelles (« single-stall restrooms »), celles qui ferment à clé et dont la porte va du sol au plafond. Notamment dans les restaurants de taille moyenne, les bars, les petites entreprises et les bureaux. Il n’est pas encore question, du moins pas à West-Hollywood, de convertir à la mixité les toilettes collectives, courantes dans les bâtiments recevant beaucoup de visiteurs, tels que les cinémas, les aéroports et les grands magasins.
Plus près de chez nous, la blogueuse Julie Lemay s’interroge à voix haute dans Urbania:« Le problème, c’est que quand tu t’identifies ni comme homme ni comme femme ou que, par exemple, dans le territoire oh combien privée de tes culottes, tu possèdes l’appareil génital masculin tout en ayant une apparence physique dite féminine, ces damnés deux choix se présentent comme répressifs, voire anxiogènes. Selon un sondage publié dans le Time, 70 % des personnes trans auraient rapporté avoir vécu du harcèlement verbal ou une agression physique dans des toilettes publiques. »
« Les maudites cloisons flottantes avec le gap entre la porte et le panneau, plus le loquet précaire qui crie « m’a te lâcher dans pas long », rien de rassurant. »
Discriminatoires, les toilettes ne l’ont pas seulement été envers les sexes, également à l’égard des couleurs. Extrait du film « Hidden figures ».
La résistance existe aussi
Les parlementaires républicains de Caroline du Nord ont voté le 23 mars dernier une loi interdisant aux personnes trans de se rendre dans les toilettes de leur choix. Au moins huit autres États seraient en train d'essayer de passer des lois similaires, dont l'Illinois, le Missouri, le Kansas et le Kentucky. D'autres États, comme le Tennessee, le Dakota du Sud, la Floride et le Nevada ont eux aussi tenté de restreindre l'accès aux toilettes pour les personnes trans, mais n’y sont pas parvenus.
Pourquoi, à la maison, même les Républicains les plus puritains ne font pas aménager chez eux des toilettes distinctes pour les filles et les garçons, mais insistent pour séparer les genres en public ?
Dans 18 autres États, dont Washington D.C., il est légal pour les personnes trans de se rendre dans les toilettes de leur choix.
Les universités rythment la cadence
Comme dans le bon vieux temps, aussi appelé Mai’68, ce sont les institutions scolaires qui donnent principalement le ton à l’universalité des toilettes et autres équipements.
En février 2015, Annick Vallières, pour le compte de la Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal, brossait le tableau des problématiques liées à la diversité culturelle. En voici des extraits.
Avant de faire l'objet de lois, le phénomène des toilettes neutres avait fait son apparition dans plusieurs établissements scolaires.
Dans la littérature, on constate que les recommandations ou les créations de toilettes non genrées s’accompagnent souvent de la publication sur le site web de l’établissement postsecondaire d’une carte, comme le fait l’Université York (2013), ou d’une liste des endroits sur le campus où sont situées ces toilettes non genrées ou individuelles (Singh, Meng et Hansen, 2013; Beemyn, 2003). Par exemple, en 2001, les membres du LGBT Restroom Project lancé à l’Université de l’Ohio demandaient que les salles de bains non genrées du campus, autant dans les résidences que dans les autres bâtiments, soient identifiées et encourageaient les administrateurs à créer d'autres toilettes privées dans l’optique de rendre le campus plus inclusif pour les personnes trans.
Dès 2003, à la suite d'une résolution sur l’implantation de toilettes sécuritaires pour les étudiants et étudiantes trans, l’association étudiante de l’Université d’État de San Diego a débloqué des fonds pour changer les affichettes indiquant le type de toilette et pour installer des verrous pour convertir des toilettes genrées en toilettes individuelles.
Au Québec, l’Université McGill a mis en place en 2007 une politique pour mandater l’inclusion d’au moins une salle de bains non genrée dans les futurs bâtiments, c’est-à-dire toutes les nouvelles constructions, et de modifier les bâtiments existants pour avoir au minimum une salle de bains non genrée par édifice, mais la politique vise préférablement l'aménagement d’une salle de bains par étage (Université McGill, 2014).
Discriminatoires, les pictogrammes «Hommes» ou «Femmes» sur les portes des toilettes? C'est ce qu'affirme Brianna Hersey, vice-présidente de l'association étudiante de l'université McGill, à Montréal.« L’accès aux toilettes publiques est souvent difficile, voire impossible, pour les transsexuels, les transgenres et les personnes à genre variable, écrit-elle dans le journal étudiant McGill Daily. Parce que la plupart de ces installations font de la ségrégation sexuelle. » Selon elle, les «transgenres» (personnes qui rejettent leur sexe biologique sans pour autant en changer) se sentent mal à l'aise dans les toilettes traditionnelles.
L'université McGill a fait le choix que ses premières toilettes « sexuellement neutres» soient accessibles à tous. « Y compris aux personnes en chaise roulante et aux étudiants avec bébé », précise Brianna Hersey, qui fait partie de l'Alliance transgenre de l'université. Regroupant une quinzaine de membres, cette association milite notamment pour que tous les bâtiments du campus offrent de telles facilités.
L’espace de la toilette évoluant vers la mixité, voire l’universalité, son image doit devenir neutre.
Une soixantaine de toilettes «non genrées» seront accessibles sur le campus de l’Université Laval cet automne, afin de favoriser l’inclusion des personnes transgenres ou «non binaires».
À la suite d’une demande du Groupe gai de l’Université Laval, l’Université a procédé à une «analyse de l’inventaire de ses toilettes» afin de faire un portrait de la situation et de déterminer lesquelles pouvaient être «converties» rapidement en toilettes neutres, accessibles à tous, peu importe le genre, indique la porte-parole, Andrée-Anne Stewart.
Résultat : la majorité des toilettes étaient déjà accessibles à tous et les autres peuvent être rapidement converties en toilettes universelles.
« Cette conversion est en cours », indique Mme Stewart. Au cours des prochaines semaines, un total de 60 toilettes neutres situées dans les 14 pavillons les plus fréquentés du campus seront accessibles, précise-t-elle.
L’identification des toilettes existantes sera par ailleurs modifiée. Plutôt que d’être identifiées par des pictogrammes « homme » et « femme », seul le mot « toilette » sera tout simplement inscrit sur la porte. Par la suite, l’administration universitaire tentera d’identifier d’autres toilettes qui peuvent être converties à moyen terme dans d’autres pavillons, afin que ce type d’installation soit encore plus répandu sur le campus.
« Le respect des diversités et l’inclusion sont des valeurs très importantes pour la direction de l’Université Laval », indique de son côté Mme Stewart.
L’accessibilité à des toilettes neutres fait partie des mesures à mettre en place pour soutenir les élèves et les étudiants transgenres, selon un guide conçu pour les établissements d’enseignement publié en janvier dernier.
Rédigé par une vingtaine de partenaires, dont le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, ce guide rappelle aux écoles, cégeps et universités qu’ils ont la responsabilité d’assurer le bien-être de tous leurs élèves, alors que plusieurs transgenres sont victimes d’intimidation et de violence.
Les personnes dites non-binaires, qui ne se définissent pas par le seul genre masculin ou féminin, ou qui rejettent cette dualité, font aussi partie des préoccupations de l’Université Laval dans sa présente démarche.
« On veut y aller, pour le moment, avec la solution la plus facile, qui est de choisir certaines toilettes qui sont pour personnes handicapées et de changer le symbole », mentionnait la direction au journal Le Soleil.
Après le dossier des toilettes, le comité Action Trans de l’établissement de Québec compte se pencher sur les formulaires de l’Université Laval pour qu’un étudiant puisse s’inscrire sous le genre et le nom qu’il désire, et non pas nécessairement par son « nom légal ». La question d’instaurer des vestiaires neutres sera elle aussi étudiée.
L'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) a mis deux toilettes non genrées à la disposition de ses étudiants pour respecter l'ensemble des identités de la communauté universitaire. « C'est dans l'air du temps », se justifiait sur les ondes de Radio-Canada Marie-Karlynn Laflamme, directrice du service des communications et des relations publiques à l'UQAC.
L'une des résidences étudiantes de l'université Simon Fraser de Vancouver, en Colombie-Britannique, a, elle aussi, aménagé un petit coin « sans ségrégation sexuelle », et d'autres sont prévus ailleurs sur le site. En quoi cette toilette est-elle différente des autres? « On a simplement changé l'inscription sur la porte », répond Louis Jelig, autre militant transgenre, qui affirme être gêné chaque fois qu'il fréquente des toilettes publiques. « Désormais, il n'y a plus de référence au sexe, mais seulement la mention "Toilettes". »
D'autres associations étudiantes du pays envisagent de faire installer des cabinets « non discriminatoires ». Mais cet objectif n'est pas du goût de tous. Les étudiants redoutent que ces réaménagements n'entraînent des dépenses inutiles, alors que les frais de scolarité ne cessent d'augmenter.
La télésérie Ally McBeal sur Fox au tournant des années 2000 est sans doute la première à avoir popularisée la toilette unisexe auprès du grand public. Voir ici une des nombreuses scènes qui y ont été tournées.
C’est toutefois le cégep de Sherbrooke qui semble le précurseur. Du moins, chez les francophones. Le cégep du Vieux Montréal et le collège Dawson ont suivi. Et depuis un mois, le collège Vanier, dans l'arrondissement de Saint-Laurent, compte une quinzaine de toilettes neutres. Mais c'est Concordia qui détient le record avec plus de 80 toilettes unisexes.
« C'est tellement facile, souligne Gabrielle Bouchard. On n'a pas fait une révolution à Concordia. On a juste enlevé le signe sur la porte pour le remplacer par le mot "toilettes". »
« Les militants des toilettes unisexes, rappelons-le, pour beaucoup féministes, sont excédés par le sigle homme/femme jugé sexiste. Et je ne peux que les rejoindre, car non, toutes les femmes ne passent pas leur journée en jupe.
Ils vont bien plus loin que la simple dénonciation d’un sigle et estiment que le partage des toilettes entre hommes et femmes pourrait mettre fin à certains stéréotypes sexués, permettre une modification des pratiques culturelles entraînant plus d’égalité entre les sexes. Pourquoi pas.
Mais ne rêvons pas : la mixité aux toilettes n’entraînera certainement pas automatiquement l’égalité des salaires. »
Où s’en va la signalétique des toilettes?
Un récent voyage en Chine d’un membre de l’équipe de bélanger trace une voie possible, celle d’informer en temps réel sur les unités libres ou occupées grâce à un senseur de chaleur (voir image ci-haut).
Un renseignement utile puisqu'on se dirige vers des portes fermées de haut en bas favorisant l’intimité des usagers.
On aura remarqué en complément d’information des icônes correspondant aux cuvettes disponibles, ou en leur absence, au style squat, pour les plus en forme (!)